antoine emaz
On trouvera sur la grande toile des dizaines et des dizaines d'images et de textes
à propos d'Antoine Emaz, qui est mort ce 3 mars 2019.
Je ne l'ai jamais rencontré, mais ses mots accompagnent mon petit travail
depuis longtemps ...
et je sais qu'il est pour tant de poètes ami-e-s comme un arbre sur le chemin.
Sa biographie est facile à trouver, et j’attrape là simplement quelques couvertures...
Lisons, relisons souvent Antoine Emaz.
Je recopie ci-dessous quelques extraits que j'avais gardés,
au vol d'une lecture de A vrai dire, Journal de travail,
que l'on retrouvera dans le dossier de remue.net qui lui est consacré.
"Un poète, c'est peut-être quelqu'un qui, à tort ou à raison,
veut des mots là où il n'y en a pas - et pour cause.
Je travaille et je vois, après.
Je travaille sans voir - je vois parce que je travaille.
Je travaille. À force, je vois un peu, parfois. Il ne faut pas en demander trop.
Aspect extrêmement lent. Labour.
Je laboure et vois après ce qui a été retourné - terre, ciel, morts, vifs, mots...
Labeur.
Je retourne toujours les mêmes mots ou peu s'en faut,
comme si j'avais besoin d'aller au bout de ça, comme si je pouvais en finir.
Je pose le mot ciel, le mot sang : je le pose là, je l'aligne et le laisse posé
jusqu'à ce qu'il se défasse, pourrisse, poudroie et ne laisse rien que cendre,
poussière, sable de ciel et de sang.
D'où le travail.
Dans la cendre du mot, je ne vois plus, j'entends comme du son resté
que je ne peux plus travailler ; je ne peux pas tisonner cela.
Le travail est alors fini.
Avant, j'ai besoin de voir dans la terre labourée du mot.
C'est comme cela : besoin de lancer dans la langue comme un tracteur lent,
besoin de cette épaisseur empierrée, caillouteuse, pas facile,
besoin peut-être de cette résistance de la terre pauvre.
Les mots, la terre, comme compactée de sens à force de passages.
Je commence quand je laboure - quand je sens dans la langue
une sorte de masse tassée de nerfs possibles - c'est difficile à dire -
une sorte de masse de possibles sans fin
et le poème ne sera qu'une suite de connexions dans ce trop de possibles.
C'est, comme ça.
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Ne pas unifier, ne pas fermer, ne pas enfermer, ne pas mouler,
ne pas revenir au même, ne pas faire taire, ne pas s'interdire,
ne pas se réduire, ne pas s'encager, ne pas s'y croire, ne pas s'endormir,
ne pas lisser, ne pas se hausser du col, ne pas plier, ne pas rêver,
ne pas craindre, ne pas cesser d'avancer, ne pas crier, ne pas geindre,
ne pas s'affoler, ne pas ne pas voir, ne pas faire comme si encore que,
ne pas oublier, ne pas fumer autant, ne pas boire pendant un certain temps encore que,
ne pas être séduit, ne pas refuser, ne pas seulement comprendre,
ne pas s'apitoyer sur soi, ne pas s'enterrer, ne pas traîner, ne pas finir,
ne pas séparer, ne pas iodler, ne pas isoler un livre,
ne pas tricher, ne pas surplomber ni souplomber ni plomber tout court,
ne pas faire en sorte, ne pas être sûr.
À peu près ça.
Pas de brillant ni de brio. Du bricolage."